Ce dimanche 26 juillet, l’Eglise fête Sainte Anne, mère de la Vierge Marie. Pour les bretons que nous sommes, cette fête est d’importance, particulièrement à Sainte Anne d’Auray, l’autre grand
sanctuaire dédié à notre sainte patronne.
Chez nous, c’est traditionnellement l’occasion de célébrer le « petit pardon » de juillet, en comparaison du grand pardon diocésain du dernier week end d’août. Cette année, ces
festivités seront marquées par toutes les restrictions en raisons des impératifs sanitaires et notamment l’absence de procession de croix et de bannière. Les célébrations de Sainte Anne d’Auray
seront réservées à celles et ceux qui se sont inscrits en temps et en heure, les places dans la basilique étant comptées.
Mais qui donc est Sainte Anne, que nous vénérons comme mère des bretons ?
A vrai dire, aucune trace de cette sainte femme dans les écrits bibliques « officiels », ce que l’on nomme « le Canon des Ecritures ». Son existence, et celle de Joachim son
époux, nous est transmise par des écrits tardifs des communautés judéo-chrétiennes, récits appelés « évangiles apocryphes ». Ces récits ne sont pas à considérer comme « Parole de
Dieu » au même titre que les quatre évangiles, ils font place à une dimension exagérée de merveilleux, et certains d’entre eux induisent une théologie contraire à la foi reçue des apôtres,
comme par exemple, que le salut est réservé à quelques uns qui auraient eu part aux révélations secrètes… Ceci dit, beaucoup de ces écrits peuvent être pris en considération, car ils ont collecté
une tradition orale de la vie de Jésus et de son enseignement, et particulièrement de ce qui relève de son enfance. Ces récits ont trouvé un grand écho dans notre statuaire, comme la présence de
l’âne et du bœuf dans la crêche, le mariage de Joseph et de Marie dans le calvaire de Plougastel, et bien sur, le culte rendu à Anne et Joachim.
Ce culte rendu à Sainte Anne est avéré à Jérusalem, par la présence de l’église qui lui est dédiée, en territoire français ! ce lieu a fait la une de l’actualité quand le président Chirac
s’est emporté contre les forces de l’ordre israéliennes lors de son voyage en septembre 2016. La basilique fut construite par les croisés au 12ème siècle sur les vestiges d’une
basilique du 5ème siècle, conservant la tradition du lieu ou naquit la Vierge Marie.
L’architecture dit le passé, mais aussi les écrits ; un évêque de Damas, St Jean Damascène, dans l’une de ses homélies à l’occasion la Nativité de Marie, fait l’éloge de Anne et de Joachim.
Ce sont ces écrits qui ont donné les prières formulées dans la liturgie de la messe à l’occasion de leur fête.
De Anne, mère de Marie qui mit au monde Jésus, nous n’en savons pas plus !
D’où nous vient alors cette tradition transmise pieusement par les grands-mères, que Anne a grandi dans le Porzay, et que Jésus lui-même, et ses apôtres avec lui, sont venus lui rendre visite.
Ils furent bien reçu au manoir de Moëllien. Mais les traditions pieuses des grands-mères, ni même les récits d’Anatole Le Braz ne sont reconnus comme Tradition de l’Eglise !
Cependant le culte de Sainte Anne, particulièrement à la Palud, remonte au tout premier âge de l’évangélisation de notre Armorique. Les évangélisateurs venus des iles britanniques débarquent en
des lieux qui vivent leur propre religion. Ces évangélisateurs n’ont pas supprimé les cultes existants, ils les ont christianisés Comme les évangélistes reprennent les textes de l’Ancien
Testament pour leur donner toute leur signification à la lumière du Christ, manifestation ultime et définitive, de la Parole de Dieu, les Guénolé, Tugdual, Ronan et autres Corentin vont reprendre
les cultes anciens comme des chemins vers l’Evangile du Christ. Les fontaines sacrées deviennent source du baptême, les arbres sacrés et pierres dressées conduisent aux croix et aux calvaires. La
déesse celte Anna (Dana, Danu, Ana, Anna, Anu, Dôn, Danann, Dinann, Donnan) était une déesse mère dans la religion gauloise. Elle est d'une certaine façon l'équivalence de Gaïa
pour les Grecs. Elle représente la mère des dieux celtes et en même temps la mère des humains. Dans l’œuvre d’évangélisation, elle sera vénérée comme celle qui mit au monde la Mère du Sauveur.
Comme nous l’entendons au matin de Noël « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils » (He 1,1). Dans cette appropriation d'un héritage ancien pour un enseignement nouveau, nous entendons ce dimanche : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. » (Mt 13,52)
De ce travail d’évangélisation nous avons des traces que nous ne savons plus lire : le poisson de St Corentin, pour les celtes symbole de la sagesse, de la connaissance, pour les chrétiens signe du Christ et de l’eucharistie,; le cerf de Saint Edern, pour les celtes symbole de la vigueur, de la fertilité, de la grâce, qui chaque printemps voit ses bois se ramifier davantage, deviendra pour les chrétiens l’image du Christ Ressuscité… Le défi de la mission aujourd’hui, est le même : se réapproprier ce savoir faire, tirer profit des éléments de la culture et de la quête d’absolu pour découvrir ensemble comment annoncer Jésus Christ comme celui nous révèle l’amour du Père. Il ne s’agit pas d’édulcorer un discours ambiant, mais de valoriser une culture spécifique comme langage particulier appelé à entrer en dialogue avec d’autres langages. Cela devient difficile dans un monde qui subit le rouleau compresseur de la culture dominante, où, comme l’écrit le pape François « la première place est occupée par ce qui est extérieur, immédiat, visible, rapide, superficiel, provisoire. Le réel laisse place à l’apparence. En de nombreux pays, la mondialisation a provoqué une détérioration accélérée des racines culturelles avec l’invasion de tendances appartenant à d’autres cultures, économiquement développées mais éthiquement affaiblies ». (La Joie de l’Evangile, 62)
Vénérer Sainte Anne, c’est bien s’inscrire dans cette tradition, cette longue marche au travers de l’histoire. Nous reconnaissons l’héritage reçu, nous avons à cœur de le transmettre aux
nouvelles générations. Maintenir ouvert et accueillant son sanctuaire à tous ceux qui y passent, c’est maintenir un espace sacré vers lequel « les pèlerins vont pour trouver
un moment de repos, de silence et de contemplation dans la vie souvent frénétique de notre époque » (Pape François, Motu
proprio Sanctorium in Ecclesia, 2017, n°3)
Que Sainte Anne nous guide dans ce chemin à la suite du Christ, et l’attente de sa pleine révélation.
Patronez dous a Vreiz,
Diwallit mad ho pro.
Kreskit ennom ar feiz,
Hirio, warhoaz, atao!
Christian Le Borgne, curé