
Comme je vous l'écrivais, dans mon précédent billet, la semaine dernière, "Il est étonnant, ou plutôt providentiel, que durant ce temps (pascal), les évangiles du dimanche nous rappellent cette mission toute particulière de Pierre et des apôtres."
Nous avons ce dimanche, un récit, épilogue de l'Evangile selon saint Jean, qui se déroule en deux tableaux :
- d'une part, un récit ou l'ensemble des apôtres sont témoins et acteurs de l’œuvre du ressuscité, manifestée par une pêche miraculeuse ;
- d'autre part, le récit de la vocation particulière de Pierre, marquée, par un dialogue que nous connaissons bien, "Pierre, m'aimes-tu ?"
Dans le "premier tableau", le récit d'une sortie de pêche... La consigne était donnée de retourner en Galilée. Ça c'est fait ! Mais pour occuper le temps, une sortie sur le lac s'organise.
"Je vais à la pêche ; nous allons avec toi !". Après la résurrection, la vie reprend ses droits. Sauf que la rencontre avec le Ressuscité ouvre toujours à des perspectives imprévues
!
Ce qu'il faut noter de cette partie de pêche, c'est qu'à la différence des récits des autres évangélistes, elle se situe non en prélude de l'appel des disciples, au tout début du ministère de
Jésus, mais après la Résurrection. Alors qu'au moment de l'appel initial, le filet risquait de se déchirer, Jean souligne que, malgré la quantité, le chiffre 153 semble évoquer toutes les
espèces recensées, le filet ne se déchire pas. Il n'y a pas de rupture, en grec, de "schisme". Comme la tunique du crucifié, tout d'une pièce, qui ne peut être partagée, la communion de l’Eglise
assurée par les pêcheurs d'hommes, disciples du Ressuscité, ne devrait être mise à mal !
D'autre part, on peut constater la diversité des réactions au sein du collège des apôtres. C'est le disciple bien aimé qui reconnait le Ressuscité au bord du rivage, et c'est Pierre qui se
jette à l'eau. A chacun son rôle, sa mission, son charisme, au sein de la même barque ! Le repas au bord du lac à très certainement une dimension eucharistique, le pain rompu, n'est pas
sans évoquer le dernier repas, et le poisson, ICTUS en grec, évoquant l'identité de "Jesus-Christ-Fils de Dieu-Sauveur des Hommes". C'est le Christ qui assure la communion en sa personne;
Dans un second tableau, nous avons le dialogue singulier entre Jésus et Pierre, avec cette triple interrogation "Pierre m'aimes-tu ?". Celui qui sera choisi parmi les cardinaux pour assumer cette charge de Pierre, n'échappera pas, une fois de plus, dans sa vie de chrétien, de prêtre et d'évêque, mais de manière toute particulière, le jour de son élection, à cette question. Certes, la triple interrogation fait référence au triple reniement, tout comme je vois dans le feu de braise un rappel du brasero auprès duquel Simon Pierre se réchauffait, la nuit de l'arrestation.
Mais le Christ ne fait pas de reproche. Il conforte Pierre dans sa mission. En toute logique humaine, c'est Jean qui aurait du être investit ! Lui seul, Jean, était fidèle jusqu'au pied de la
croix ; c'est lui qui s'est vu confier Marie ; c'est encore lui, le disciple bien aimé, le premier, qui a su reconnaître la présence du Ressuscité, tout comme c'est lui qui a cru à la vue du
tombeau vide ! Mais pour conforter les frères, pour être témoin de la miséricorde de Dieu, ne fallait-il pas Simon, fils de Jonas, un homme conscient de ses limites et au cœur de ses faiblesses,
de la miséricorde de Dieu ?
Deux citations me reviennent en tête, à la lecture de ce récit. La première, toute récente, était le commentaire du récit de Jacob, dans la Genèse, par Timothy Radcliff, lu ce premier mai à
Landévennec, par Jean-Jacques Perennes. Dieu nous aime tels que nous sommes, et non comme nous rêverions d'être, derrière nos masques et les illusions de ce que nous aimerions donner à voir de
nous même. Dieu nous aime tels que nous sommes, et Pierre à une réponse qui est juste "Seigneur, tu sais que je t'aime... toi qui connais toutes choses, tu sais que je t'aime". Comme
dirait Augustin, "Tu me connais plus que je ne me connais moi-même".
L'autre citation, qui recoupe la première, est d'un autre cardinal, non plus dominicain mais jésuite, Carlo Maria Martini, archevêque de Milan. Dans sa méditation sur la figure de Pierre, il
souligne combien ce dernier à la prétention de dicter au Christ sa mission, ce que l'on attend du Messie. Il est près à donner sa vie pour lui ! Et il est déconcerté par Jésus qui annonce sa
Passion, qui s'abaisse à lui laver les pieds, et qui donne sa vie pour lui. Pierre, qui est prêt à tout donner pour le Christ, doit accepter qu'il ne peut rien par lui même, mais qu'il a tout à
recevoir du Seigneur.
N'attendons pas d'un Pape qu'il soit un surhomme ! Nous avons eu trop de catastrophes au siècle dernier, et le 8 mai nous le rappelle, en raisons d'hommes qui se croyaient des Furher, Caodillo Duce, Grand Timonier ou Petit Père des Peuples. Et notre monde est mis à mal par des semblables qui n'ont rien appris de l'histoire !
Nous attendons d'un évêque, et particulièrement du premier d'entre eux, qu'il soit ce témoin de la miséricorde, de la compassion de notre Dieu pour notre humanité blessée.
Nous attendons d'un évêque, et particulièrement du premier d'entre eux, qu'il soit artisan de la communion, au sein de la barque de Pierre, conscient des limites des uns et des autres, et de ses
propres limites. mais aussi confiant en la force de l'Esprit Saint, capable de transformer une nuit de travail stérile en pêche miraculeuse.
Nous attendons enfin, dans notre histoire humaine, qu'il réponde à cet appel, "Pais mes brebis, pais mes agneaux". Nous entendrons dimanche prochain, alors que nous connaîtrons, sauf surprise, le
nom du nouveau pape, cette parole de l'Apocalypse " l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
sera leur pasteur". C'est le Christ qui est le seul Pasteur, et les ministres de son Eglise ne sont pas là pour prendre sa place, mais pour la manifester, la rendre effective. Humbles,
comme des agneaux, et rassurants, réconfortants, comme des pasteurs.
Christian Le Borgne, curé