
Troménie de Locronan 2025
(20 juillet).
Homélie messe.
Mgr Gérard Le Stang.
Chers amis,
Nous faisons mémoire, en ce jour, de Saint Ronan. Il est né en Irlande, a émigré vers nos côtes bretonnes pour vivre sa foi, sur l’île Molène en premier lieu, disent ses biographes, puis à Saint-Renan, dans le Léon, avant d’arriver à Locronan, puis de repartir vers les Côtes-d’Armor. La notice biographique du Sanctoral du diocèse de Quimper et Léon, dit au passage, que Ronan a quitté Saint-Renan (où je suis né), en raison de « l’indiscrète curiosité » des léonards. C’est bien mal connaître mes compatriotes léonards, bien connus pour leur retenue et leur délicatesse 😊 ! Cela étant, souvenons-nous aussi que Saint Ronan, avant de devenir ermite, était évêque en Irlande, avant de devenir ermite dans la forêt du Nevet. Aucune vocation ne surpasse une autre, et une perspective nouvelle peut s’ouvrir pour chacun, y compris pour les évêques…
Cette vie de Ronan met en relief deux données caractéristiques d’une vie chrétienne authentique : d’une part, Saint Ronan a su s’interroger et écouter les appels de l’Esprit Saint au cœur de sa destinée : migrer de l’Irlande vers notre pays breton, se remettre en cause et changer d’orientation ou de lieu de vie... A chaque fois, on s’en doute, Ronan s’est interrogé : que dois-je faire ? Quelle orientation prendre ? Seigneur, à quoi m’appelles-tu ? Ronan apparaît ainsi comme un homme, non pas figé, enfermé dans des pratiques qui n’ont plus de sens ou des relations toxiques, mais en chemin comme Jésus dans l’Évangile. Voilà qui nous inspire, chers amis : nos vies sont pleines d’événements inattendus et imprévus qui heureusement nous « désarment ». Accueillis dans la foi, ils peuvent devenir des occasions de renouveau et d’approfondissement, des événements source de grâce.
Nous avons noté aussi ce point frappant dans la vie de Ronan : Il quitte sa charge pastorale d’évêque pour devenir ermite. Cela met en lumière une donnée très importante : Ronan était, d’abord et avant tout, un homme de prière, ancré dans la foi au Christ. Son cœur battait au rythme du cœur de Dieu. Il sentait l’amour de Dieu en Lui. Ronan voulait avancer dans les eaux profondes de la prière, entraînant avec lui, non pas les curieux et les indiscrets, mais tous ceux qui prennent au sérieux leur vie de foi et leurs engagements de chrétiens.
Nous y retrouvons l’Évangile de ce jour : Jésus bénéficie de l’hospitalité de ses amies Marthe et Marie (qui ont aussi un frère, Lazare). Cela donne l’occasion d’une discussion franche entre eux : Jésus loue Marie, qui a choisi de se mettre avant tout à son écoute, alors que Marthe, croyant bien faire, « s’agite », lui dit Jésus. Marthe est heureuse d’accueillir Jésus, et elle veut mettre les petits plats dans les grands. N’est-ce pas ce que nous faisons quand nous recevons quelqu’un, surtout si c’est quelqu’un dont la visite nous honore. Mais Jésus veut d’abord une rencontre d’amitié et d’attention mutuelle, vécue avec simplicité.
Voilà qui nous interroge. Sommes-nous vraiment à l’écoute du Seigneur en nos vies ? Sommes-nous vraiment attentifs, dans la simplicité du cœur envers ceux qui viennent à nous ? En faisant notre troménie, serons-nous vraiment à l’écoute de Dieu ? Cela nous interroge aussi en ce jour : La troménie demande beaucoup d’organisation et parfois de tracas. Elle n’est pas une simple parade mais un événement de foi. Quelle grâce en tirer si elle suscite trop d’agitation ou même, parfois, d’énervement contre les autres (si je me souviens des certaines troménies que j’ai vécues ici depuis plus de 40 ans) ? Nous marchons ensemble en chrétiens, avec une conviction : Dieu, en ce jour, veut nous parler. Il veut toucher notre cœur par sa présence à travers la nature (et même la météo), les processions, les prières et les chants, la diversité des participants. Si notre cœur est vraiment touché par sa présence, il débordera de bonté, de gentillesse, et d’attention envers tous. Ce sera le signe que nous vivons une vraie troménie.
Dans la première lecture (Genèse 18, 1-10), nous avons admiré l’empressement d’Abraham faisant preuve d’hospitalité, aux chênes de Mambré, envers les trois étrangers, accueillis comme des envoyés de Dieu. Abraham est un mélange de Marthe et de Marie ! Et cela vaudra une belle fécondité pour son couple qui souffre d’être sans enfant. Lorsque nous sommes hospitaliers à la présence de Dieu et aux autres, au milieu de nos agitations, cela purifie notre cœur, cela chasse nos méfiances, nos méchancetés, nos agacements et nos vantardises. La bonté envahit notre cœur. La miséricorde nous saisit. Nous devenons pour les autres un instrument qui les aide à ressentir l’amour de Dieu pour eux. Faites-en l’expérience, et grande sera votre joie.
Puisque le Christ, l’Espérance de la Gloire (St Paul) est en nous, qu’il marche avec nous, nous devenons ainsi « Pèlerins d’Espérance », comme cela nous est demandé en cette Année Sainte. Saint Paul dit aussi : Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ en ma chair, je l’accomplis pour son Corps qui est l’Eglise. Notre vie est un long pèlerinage, chemin belles découvertes et de rencontres formidables, mais aussi chemin de peines et d’épreuves. Lorsqu’on monte la « montagne » de Locronan, après plusieurs kilomètres de marche, il arrive de « tirer la langue », comme on dit, sous le poids de la fatigue et celui des bannières et des croix. Ainsi va notre existence. Elle aussi, comporte des passages, rudes à vivre et des poids lourds à porter, plus lourd que le poids d’une bannière. Il nous faut marcher avec ce qui affecte nos vies : notre santé ou celle de nos proches, les désunions familiales ou conjugales, les difficultés avec les enfants, les addictions, les soucis de toutes sortes et cette évolution globale du monde ou de notre société qui si souvent inquiète ? Que vais-je alors demander à Dieu en faisant ma troménie ou en prenant le temps de prier en cette église ? Tous nous portons, des désirs de libération, de guérison ou de paix du cœur, pour nous-mêmes et nos proches. En regardant défiler les belles bannières et les croix, signes d’une foi pour laquelle nos prédécesseurs ont mis le prix, et en les suivant, que demander au Dieu de nos racines profondes et de nos branches tendues vers l’avenir ? Si nous prenons le temps de nous adresser à Lui, comme un ami parle à un ami, soutenus par la prière de la Vierge Marie, de Saint Ronan et de tous les saints, notre troménie sera plus profonde, plus pieuse, plus joyeuse, comme elle a pu l’être pour ceux qui l’ont accomplie seul ou en groupe la semaine passée.
Saint Bernard, en parlant des frères et sœurs, amis de Jésus, Marie, Marthe et Lazare, disait : Marie représente l’Eglise en prière, Marthe l’Eglise en action, et Lazare l’église en conversion qui passe de la nuit du tombeau à la lumière de la vie à l’appel de Jésus. En suivant les pas de Saint Ronan, en ce jour, devenons-nous aussi un peu plus l’Eglise en prière, l’Eglise en action et l’Eglise en conversion. Et nous n’aurons certes pas perdu notre journée. Amen,

Troménie Locronan 2025.
Homélie après-midi (Mt 1, 18-25). Mgr Le Stang.
Chers frères et sœurs,
Saint Joseph entend Dieu lui parler à travers un songe. Cela arrive souvent aujourd’hui : des non-croyants, parfois des musulmans qui ne connaissent rien du Christ, le rencontrent à travers des songes qui sont de vraies rencontres desquelles naît la foi. Ainsi va notre temps : quand l’homme résiste à la présence de Dieu et ne se préoccupe plus de sa destinée, Dieu vient parler à son cœur au moment où il a baissé les armes, dans son sommeil. Ne négligez pas votre sommeil !
C’est ce qui arrive à Saint Joseph. Il est torturé et peiné, par la décision prise de renvoyer la femme qu’il aime, sa fiancé dont il découvre qu’elle est enceinte. Il lui faut ce songe pour croire à l’impossible et naître à une vie nouvelle, et à une réalisation conjugale et paternelle tout à fait autre. Il avancera désormais avec la conscience d’une vocation sainte et dans la paix du cœur, mettant Jésus et sa mère au centre de sa vie.
Un ami m’a offert un jour une représentation de Saint Joseph endormi, reproduction d’une œuvre italienne du XV° siècle. Elle montre Joseph dormant sereinement alors que l’Europe du XIV° est torturée par la pandémie de peste qui décima entre 30%et 60 % de la population européenne. Joseph y apparaît comme figure de l’Espérance qui entend la parole de Dieu : ne crains pas ! l’enfant Emmanuel sera « Dieu avec-nous », quelles que soient les épreuves du moment.
Telle est l’Espérance chrétienne : il ne s’agit pas simplement d’être optimiste face à l’avenir. Que savons-nous de l’avenir ? Peut-être sera-t-il pire que ce que nous vivons aujourd’hui ! Quand Syméon prédit à la Vierge Marie qu’« un glaive lui transpercera le cœur », il ne lui vend pas du rêve, l’espérance à bon marché des diseuses de bonne aventure, des rituels ésotériques de druides nouvelle vague, ou l’espérance des mirages numériques. Le vieillard Syméon lui parle du concret d’une vie que Marie ne cherchera pas à fuir, mais à vivre avec son fils, jusqu’au pied de la Croix. L’espérance chrétienne, ce n’est pas se voiler la face devant l’avenir. C’est assumer le présent avec une certitude : Quoiqu’il arrive, Jésus est l’Emmanuel, il est Dieu-avec-nous, ici dès maintenant. Nos joies et nos croix, nos sanglots et nos maux, Dieu les vit avec nous et nous emmène plus loin.
En cette étape importante de notre longue troménie, nous reprenons souffle : Accueillons-y la sérénité de Saint Joseph. Demandons lui l’obéissance de la foi, la confiance en Dieu dont il sut faire preuve, pour avancer avec espérance sans savoir vraiment où tout cela mène.
Saint Joseph a la force tranquille de l’homme juste, du chaste époux, du travailleur régulier, du père attentif au bien commun. Il est un guide avisé dans notre marche à la suite du Christ. Avec lui, ouvrons nos cœurs au mystère qui nous dépasse et qui nous comble. Amen.