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La Grande Troménie, c'est dimanche !

Si vous manquez ce pèlerinage cet été, vous devrez attendre encore six ans !

 

Un dicton breton rappelle que « celui qui ne fait pas sa Troménie de son vivant devra la faire après sa mort en progressant chaque jour de la longueur de son cercueil ». Alors tous les six ans, ils sont plusieurs milliers à arpenter champs et sous-bois, à traverser les ruisseaux sur des ponts improvisés et à gravir les pentes du Menez Lokorn (la montagne de Locronan) en un long ruban coloré pour parcourir les 12 kilomètres de la grande procession circulaire. Les pardonneurs (ceux qui fréquentent le pardon) mettent ainsi leurs pas dans ceux de saint Ronan, ermite irlandais et fondateur du village au Ve ou au VIe siècle, qui effectuait son parcours chaque dimanche, pieds nus et à jeun (Loc Ronan signifie « lieu consacré à saint Ronan »).

L’ouverture solennelle de la Grande Troménie se fait le deuxième dimanche de juillet à 0h00, à l’issue du jeu scénique relatant la vie de saint Ronan, avec l’embrasement du tantad (grand feu) par le prêtre de la paroisse. À partir de ce moment, les pèlerins peuvent partir seuls ou en petits groupes pour leur « tour » individuel (troménie vient du breton tro = tour et minihi = espace monastique, pour certains auteurs, l’origine serait plutôt tro menez, le tour de la montagne). Le parcours reste ouvert à tous, jour et nuit pendant une semaine jusqu’au troisième dimanche de juillet. Les deux dimanches qui ouvrent et clôturent le pardon sont des jours de messe pontificale, de procession et… de grande affluence !

Chaque procession s’organise par paroisse et par chapelle, rassemblant plus de 3.000 personnes. Parmi elles, près de 350 porteurs d’enseignes, tous en costume traditionnel, brandissent haut les statues, les reliques, la croix de l’église et les bannières des chapelles auxquelles ils sont rattachés. Presque une épreuve physique quand on sait que les croix pèsent de 12 à 15 kilos chacune et les bannières parfois près de 20 kilos. « Pourvu que ce ne soit pas la canicule… » espère Patrick Lopez, organisateur.

 

Une préparation de longue haleine

Le parcours passant par des chemins privés, il faut profiter d’une Grande Troménie pour pouvoir l’effectuer. Long de 12 à 13 kilomètres, il est jalonné de 12 stations marquées de croix de granit et d’une quarantaine de petites huttes abritant une statue de saint, sculptée dans le bois ou dans la pierre. Ces statues ont quitté leur église ou leur chapelle en l’honneur du passage des pèlerins et des reliques de saint Ronan. L’événement nécessite une préparation de longue haleine qui mobilise de nombreux bénévoles bien avant le jour J. « Un ou deux ans avant la date prévue, nous nous organisons avec les agriculteurs qui exploitent les terrains sur lesquels va passer la procession afin de ne pas nuire aux cultures, explique Patrick Lopez. Et à partir du mois de mai, nous débroussaillons les sentiers et mettons tout en place pour permettre aux pèlerins de suivre les chemins sans souci ».

On dit de la Troménie que c’est un « pardon muet ». « Ils cheminent en silence, sans échanger une parole » observait Anatole Le Braz (1894-1926), écrivain et folkloriste français de langue bretonne. Si cela se pratique encore généralement pour les Troménies individuelles, lors des processions, sur les chemins de Locronan, « on chante, on récite le chapelet, on prie », explique le père Christian Le Borgne, prêtre de la paroisse Sainte Anne – Chateaulin. Entre deux Grandes Troménies ont lieu les Troménies annuelles, le deuxième dimanche de juillet, sur un circuit beaucoup plus court.

« Une belle occasion d’annoncer l’Évangile »

Dans son ouvrage Au pays des pardons, Anatole Le Braz écrivait : « Les pardons, hélas ! les pardons eux-mêmes disparaîtront. » Et pourtant, loin de la vision pessimiste de l’écrivain, la Grande Troménie de Locronan connaît depuis quelques années, une nouvelle popularité croissante, au point d’être devenue l’un des plus grands pardons de Bretagne. Des curieux, certes, des touristes amateurs de folklore, mais pas uniquement.

« Il y a beaucoup plus de participants aux messes des deux dimanches de la Grande Troménie qu’aux messes dominicales, constate Patrick Lopez. C’est peut-être la manifestation d’une nouvelle façon de pratiquer, les gens ressentent à cette occasion quelque chose de différent, un renouveau d’intérêt pour les cultures régionales qui les rapproche de leur racines. Elle marque un temps important pour les habitants, elle resserre les liens et l’on rend vraiment compte de leur attachement à leurs chapelles et à leurs traditions. » Un sentiment partagé par le père Le Borgne : « Pour beaucoup de personnes qui ont quitté la tradition dominicale, c’est une porte ouverte pour redécouvrir ses racines. On est là tout à fait en accord avec les paroles du Pape sur la piété populaire, « précieux trésor de l’Église ». C’est une belle occasion pour l’Église d’annoncer l’Évangile. »