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1er Dimanche de Carême, 1er Mars 2020

Le Carême nous appelle à la conversion en nous invitant à un grand voyage dans le temps pour des rencontres avec ceux qui nous ont précédés depuis Adam, Abraham, Moïse, David, Jésus puis les Apôtres et bien d’autres. Notre conversion première consiste ainsi à tenir en éveil notre mémoire, et à ne pas oublier que nous sommes des survivants. A la garder vive en notre cœur et notre esprit et à ne pas la laisser mourir dans nos ordinateurs. L’histoire de tous ces ancêtres est la nôtre. Elle nous parle et parle aussi de nous. Ce que nous vivons aujourd’hui, ils l’ont vécu dans leur temps. Nous sommes pétris de la même humanité qu’eux, invités aux conversions qu’ils ont eues à vivre, et habités par les tentations qui ont été les leurs depuis les origines.

 

La Bible raconte que le premier couple humain qu’on pourrait considérer comme le prototype d’humanité s’est trouvé devant une décision, une tentation première, qui a mis à l’épreuve sa liberté. Créés à l’image de Dieu, Adam et Ève avaient étaient appelés à lui ressembler. Dans le jardin mythique d’Eden, nous dit le récit de la Genèse, ils pouvaient savourer toutes sortes de fruits, sauf celui de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. C’était l’interdit majeur, lié aux limites de leur intelligence humaine, dont ils comprendront mal le sens.

 

Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs 
que le Seigneur Dieu avait faits.
Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a dit : 
"Vous ne mangerez le fruit d’aucun arbre du jardin" ? »
La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
Mais, pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : 
"Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez." »
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, 
qu’il avait un aspect agréable et qu’il était désirable, puisqu’il donnait l’intelligence.
Elle prit de ce fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus.

 

Le tentateur rampant et menteur déforme les paroles de Dieu rapportées par Ève : tous les fruits sont autorisés, sauf un et non pas « tous sont interdits ». Seul est interdit le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Cet interdit protecteur devient générateur de deux attitudes toxiques qui empoisonnent plus que jamais notre époque : le soupçon et la convoitise. Le serpent éveille le soupçon du couple humain par rapport à l’esprit de bonté dans lequel Dieu les a créés, et lui prête des arrière-pensées perverses : son interdit ne manifeste-t-il pas qu’il est jaloux de son pouvoir, suggère-t-il ? Ce qui est faux et contredit par le récit biblique. Dieu ne veut que le bonheur de l’homme. Son interdit se fonde sur le fait que lui seul dispose de l’intelligence suprême, sans faille. Il n’y a pas en lui de confusion entre bien et mal, car il est saint et n’est qu’amour et bonté.

 

Il n’en va pas de même pour l’être humain. Son intelligence et ses jugements sont limités et souvent sujets à l’erreur ainsi qu’à la confusion entre bien et mal. Être de mélange, il ne fait pas le bien qu’il voudrait et fait le mal qu’il ne voudrait pas, comme le dira saint Paul. Il lui arrive aussi de considérer comme bon ce qui fait son malheur, et inversement. Le péché des origines auquel le serpent entraîne le premier couple humain est donc un péché de convoitise. Celui de se prendre pour un « dieu » comme dit Satan et non de ressembler à « Dieu ». Celui de désirer et de prétendre tout savoir, tout pouvoir, tout avoir. Et comme c’est tellement le cas aujourd’hui, celui de tout voir, si possible en direct, jusqu’à croire que ce qui est vu est vrai ! Celui d’aspirer à une condition divine imaginaire et d’être un dieu qui n’est que la projection de ses convoitises humaines, de ses fantasmes. Celui de soupçonner de perversité Dieu et les justes quand ils font preuve de bonté, de courage et de justice. Le serpent, plein de ruse et de rampante tromperie vient pervertir son regard. Le premier couple humain entre dans son jeu et lui accorde crédit.

 

Dans l’Évangile, Jésus est présenté comme un nouveau prototype d’humanité. Lui aussi est tenté, non par un serpent, mais un démon – dans le monde grec le « daïmon » était présenté comme un conseiller intérieur qui inspirait le jugement » -. C’est au désert que Jésus se retire pour faire un choix décisif par rapport à la manière d’accomplir sa mission et aussi de vivre son humanité. Comment va-t-il se comporter face aux tentations du démon et aux apparents bons conseils qu’il lui donne ?

 

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