Tout homme est habité par une certaine foi

Entretien Ouest-France
Propos recueillis par François VERCELLETTO

.Publié le 12/04/2020 

 

Confinement. Entretien avec François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin

François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin de l’abbaye de Ligugé (Vienne), spécialiste de liturgie, artiste et poète, est avant tout un homme d’ouverture et de dialogue.

 

Vivre confiné, est-ce vivre comme un moine ?

Il y a quelques ressemblances, mais c’est fondamentalement différent. On embrasse la vie monastique librement, alors que le confinement est imposé. On ne devient pas moine pour s’enfermer, mais pour rentrer dans un nouvel espace de liberté. Un monastère n’est pas une forteresse érigée entre soi et le monde.

Votre communauté est-elle également affectée ?

Absolument et cela change notre ordinaire, que ce soit pour les relations sociales ou pour les activités lucratives. C’est une épreuve pour nous aussi, à traverser avec tous. Les moines ne sont pas érigés en secours ni en modèle. Ils partagent à leur manière une condition universelle.

Quelles règles de la vie monastique pourraient-elles être de bon conseil ?

Peut-être de développer des espaces de vie intérieure qui s’affranchissent des contraintes du confinement. C’est aussi l’occasion de découvrir, en nous et entre nous, au-delà de cette bougeotte permanente, des espaces de communion, de communication et d’approfondissement.

La vie monastique est très réglée. Faut-il calquer cette discipline ?

C’est vrai, nous avons des heures pour les repas, la prière et le travail. Peut-être pouvons-nous retrouver les bienfaits d’une certaine régularité et d’une forme de ritualité qui sont passablement mises à mal par le zapping perpétuel de notre mode de vie. Bonne humeur et horaires ne sont pas incompatibles.

Ce n’est pas si simple pour tout le monde…

Nous ne sommes effectivement pas tous à égalité dans cette situation. Pour certains – familles éclatées, fragiles, nombreuses et petitement logées… – c’est dramatique et… beaucoup plus pénible que pour les moines, privilégiés à bien des égards.

Avez-vous un message particulier destiné aux croyants ?

Déjà, lire les saintes écritures comme les textes proposés pour la liturgie du carême, l’Évangile de saint Jean. Approfondir aussi les relations fraternelles, avec nos proches ou moins proches. S’inquiéter de ceux qui sont loin, leur manifester par un signe notre attention. Il est urgent de sortir de soi. En revanche, il est inutile de rajouter des dévotions comme, par exemple, les neuvaines de prière. Cela ne sert strictement à rien.

Ce n’est pas ça qui nous sauvera ?

Non, mille fois non ! Il faut aller à l’essentiel. Le « bisounours charismatique » et la « quincaillerie religieuse » sont désormais irrecevables : c’est de la maturité qu’il nous faut. Du sérieux. La vie spirituelle peut éventuellement se passer des médiations habituelles. Actuellement, on ne peut pas avoir la messe tous les jours, mais c’est l’occasion d’inventer autre chose. Il ne faut pas avoir peur du vide, de l’absence. Nous devons nous faire à cette relative austérité qui nous invite à ne pas être des consommateurs du religieux et à approfondir notre relation à Dieu et aux autres. Le Royaume est à l’intérieur de nous. Ce n’est pas la peine de multiplier les messes virtuelles.

Est-ce prémonitoire ?

C’est un jeûne qui nous est imposé, là aussi, et qui, du reste, ne fait qu’accentuer un jeûne que nous allons connaître avec la raréfaction des ministres ordonnés. Il va falloir inventer d’autres manières, d’autres liturgies. Cette consommation du religieux doit, elle aussi, jeûner.

« Le point de bascule de l’épidémie » a été le rassemblement évangélique de Mulhouse…

Cela donne à réfléchir. Cela met à mal toute une religiosité naïve, étourdie, mensongère (et beaucoup plus largement partagée qu’il n’y paraît, hélas) qui promet des « guérisons » à tour de bras. On ne peut pas asséner à nos contemporains des « bimbeloteries religieuses ». Il nous faut revenir à davantage de maturité, d’austérité pour viser l’essentiel.

C’est-à-dire ?

La foi véritable, toujours humble, ne nous dispense jamais de notre condition humaine : elle nous renvoie à nos responsabilités. Notre essentiel c’est d’approfondir notre relation à un Dieu qui est caché, qui n’est pas évident. Cela passe par des épreuves terribles qui peuvent ébranler notre foi.

Vous dites que l’image de Dieu doit sortir « décapée et transfigurée » par ce confinement…

Oui, parce que ce n’est pas un Dieu miracle qui va tout résoudre d’un coup de baguette magique. C’est un Dieu qui est plutôt dans les malades et les soignants. Dieu n’est là que là où il y a de l’humain véritable. Il n’est pas dans les faux miracles.

Pensez-vous que cette période soit de nature à changer nos comportements ?

Les conséquences individuelles et collectives de ce confinement général seront énormes. Ce qui nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement historique. Nous allons devoir revoir nos priorités dans beaucoup de domaines. C’est un appel à la frugalité et au respect de la Création pour mettre un terme à nos abus de consommation, de luxe, de déplacements… Redevenons plus raisonnables. Nous espérons en ressortir plus humains parce que nous aurons pris conscience de notre très grande fragilité.

Les chrétiens fêtent Pâques aujourd’hui, en quoi est-ce la fête la plus importante pour un croyant ?

C’est la fête du passage de la mort à la vie. Et nous sommes là au cœur, au plus vif du mystère de la foi. C’est une traversée que nous n’effectuons pas seuls, mais avec le Christ. C’est le pionnier de ce passage. Tout prend sens en lui et est assumé en lui.

Et pour ceux qui ne croient pas…

Je pense que tout homme est habité par une certaine foi. Nous ne pouvons pas dire que certains ont la foi, et d’autres pas. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas toujours exprimé, mais au-delà de la « foi officielle », dogmatique ou « correcte », il y a cette foi éminemment respectable qui habite le cœur de tout homme.

Repères

1959. Naissance à Rome, dans une famille aux origines italienne (Cassingena) et bretonne (Trévedy).

1978. Intègre l’École normale supérieure (rue d’Ulm) après des études de Lettres classiques.

1980. Entre dans la vie monastique. À l’abbaye bénédictine de Saint-Martin de Ligugé (Vienne), il est maître de chœur (grégorien) et émailleur sur cuivre.

1988. Ordonné prêtre.

Enseignant à l’Institut supérieur de liturgie (Institut Catholique de Paris). Auteur, principalement aux éditions Ad Solem, de nombreux ouvrages. Les Étincelles, à l’intersection inédite de la poésie, de la philosophie, de la théologie et de la spiritualité, représente certainement son œuvre maîtresse.

2019. Publie De l’air du temps au cœur du monde, un moine dans la cité (Tallandier).