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Je suis le Bon Pasteur

Au cœur du retable récemment restauré de la chapelle de Quilinen (Landrévarzec), cette représentation du Christ. Il est le Bon Pasteur, plein de miséricorde, comme dans la parabole du chapitre 15 de Luc, le berger partant à la recherche de la brebis perdue, et la ramène tout joyeux sur ses épaules.
Lorsque St Jean, dans son évangile, reprend cette image, ce n'est plus une parabole, c'est l'affirmation par le Christ de son identité "Je suis le bon pasteur", qui non seulement va à la recherche de la brebis égarée, mais qui, à la différence des mercenaires, donne sa vie pour ses brebis. Pour reprendre d'autres expressions similaires, il est "la porte" des brebis, pour qu'elles puissent entrer et sortir de la bergerie, il est aussi "le chemin, la vérité, la vie", le berger qui guide son troupeau sur les chemins du Père. "Nul ne va vers le Père sans passer par moi".
Ce retable, parmi toutes les représentations possibles d'un tabernacle a choisi non pas l'Agneau Pascal, mais le Bon Pasteur. Manière originale d'aborder par une autre facette le mystère de l'eucharistie !

Toutes les appellations que je viens d'énumérer, "le bon pasteur, "la porte", "le chemin, la vérité, la vie", et aussi "le pain vivant", "la vigne" sont précédées dans l'évangile de Jean par l'expression "JE SUIS"... Cela peut nous sembler une simple forme grammaticale ; comme le roi Louis disant "l'Etat, c'est moi", Jésus pourrait dire "le bon pasteur, c'est moi !". Ce serait oublier l'importance de cette formulation "JE SUIS", par laquelle Dieu se révèle à Moïse au buisson ardent. (Exode 3, 1-7). Dieu se manifeste à Moïse comme celui qui compati à la souffrance de son peuple et mandate, pour délivrer ce peuple de l'esclavage. "Quel est ton nom ?" demande Moïse, et nous connaissons la réponse, "Mon nom est : Je suis"... En hébreux, le nom de Dieu, sans jamais être prononcé est YHVH, "Yahvé", ou selon une transcription erronée, "Jehovah". Lorsque le Christ dit "Je suis", il manifeste sa nature divine !


Pour nous, cela ne change pas grand chose, puisque nous savons et nous croyons que Jésus est Dieu, né de Dieu, selon notre Credo. Mais cela nous invite, grâce au Christ, à redécouvrir le visage de Dieu que le Christ nous révèle. La première mission confiée à Moïse, ce n'est pas de rendre un culte, d'offrir un sacrifice, mais de sortir le peuple de l'esclavage et de le conduire vers la Terre Promise. Ensuite, en mémorial, viendra le temps du sacrifice de louange !
En se qualifiant de Bon Pasteur, c'est encore d'une attribution divine que Jésus se revêt. Quand Dieu appelle Moïse, celui ci gardait les troupeaux de son beau-père Jéthro. Plus tard, quand il choisira David comme roi, celui ci gardait les moutons de son père Jessé, à Bethléem... Mais c'est Dieu lui même qui est le Pasteur de son peuple, comme le chante le psaume 22 "Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien"...
Plus tard, en période de crise grave, au cours de l'exil à Babylone, le prophète Ezechiel, au chapitre 34, reprendra cette belle image du berger pour rappeler la tendresse de Dieu pour son peuple. "Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées." Mais en même temps, le prophète Ezechiel met en garde ; si le Seigneur est le Berger qui prends soin de ses brebis, il sera un juge impartial contre les mauvais bergers qui sont bergers "pour eux mêmes" : "Vous n’avez pas rendu des forces à la brebis chétive, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené la brebis égarée, cherché celle qui était perdue. [...]
Je susciterai à leur tête un seul berger ; lui les fera paître : ce sera mon serviteur David. Lui les fera paître, il sera leur berger.

 Alors moi, le Seigneur, je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles. Je suis le Seigneur, j’ai parlé."

Il est clair , pour les chrétiens que c'est Jésus, ce "serviteur David". Mais bien plus que David, il est Dieu lui même, accomplissant les œuvres du Père. Il est le Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis.

Dans les circonstances que nous vivons, ou chacun de nous est, non pas dispersé mais confiné, comment recevoir cet évangile ?
Tout d'abord, en nous rappelant que la mission confiée aux pasteurs n'est pas en premier lieu de célébrer le culte, mais d'annoncer l’Évangile ! Le Concile Vatican 2 le rappelle, et dans ses déclarations, et dans sa liturgie, notamment dans les ordinations épiscopales et presbytérales. En ce temps de jeûne eucharistique, nous pouvons nous réjouir de tout ce qui a été mis en œuvre pour lire, méditer, approfondir seul ou en famille, l'Evangile et la Parole de Dieu. Lorsque reviendra le temps ou nous pourrons célébrer en assemblée l'eucharistie, nous pourrons redécouvrir combien il est important, non pas pour chacun "d'avoir sa messe", mais d'être rassemblés par le Christ lui même. Comme me le faisait remarquer une paroissienne : "je regarde la messe à la télé le dimanche, mais ce n'est pas pareil ; ils sont entre-eux dans leur studio..." Et oui, il manque une assemblée !
Une autre chose essentielle, également rappelée par le Concile, est que la mission du pasteur est de rassembler, en étant attentif à ceux qui sont en difficulté. ce n'est pas par hasard si les divers services d’Église ont pour appellation "pastorale" (pastorale des jeunes, de la santé, des migrants...) dimensions souvent laissée en queues de comètes de nos préoccupations paroissiales ! Dans le concert des prises de paroles épiscopales, suite aux orientations du gouvernement pour après le 11 mai, j'ai été attentif à deux interventions remarquables ; celle de l'archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline,
d'une part(cliquez ici pour accéder au texte), celle de l'évêque de Cayenne, d'autre part, Mgr Emmanuel Lafont. (Cliquer ici pour accéder au texte) Leurs avis divergent au sujet d'un nécessaire rétablissement des rassemblement dès le 11 mai ; cependant les exigences qu'ils mettent en avant nous rappellent que la foi chrétienne ne se réduit pas au seul culte eucharistique.
« Laissez l’Église et les religions, prônant la paix et la fraternité, jouer pleinement leur rôle de "geste barrière" contre les dérives virales de la peur et du mépris. » déclare Jean-Marc Aveline.
"Afin de porter assistance aux enfants les plus défavorisés, je veillerai, avec les chefs d’établissement, à la réouverture des écoles catholiques, étant prises toutes les précautions sanitaires nécessaires. Nous sommes également prêts à travailler pour que les jeunes des quartiers les plus pauvres puissent être aidés par les Œuvres, les Patronages et les Mouvements catholiques de jeunesse, afin de lutter contre une fracture sociale que le confinement n’a fait qu’élargir."
Pour Mgr Lafont, "
Ce confinement est donc aussi une occasion de vivre en solidarité avec ces chrétiens qui sont dans l’impossibilité chronique de célébrer, ce qui ne les empêche pas de vivre leur foi." Rappelons nous qu'il est évêque de Guyane, et à ce titre, à participé au synode sur l'Amazonie.

 

Le prophète Ezechiel ne se contente pas de condamner les mauvais bergers, ils met en garde ceux qui tirent profit des jours difficiles afin de s'enrichir.
20 C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que moi-même je jugerai entre la brebis grasse et la brebis maigre.

21 Parce que vous avez bousculé du flanc et de l’épaule toutes celles qui étaient malades, et que vous leur avez donné des coups de corne jusqu’à les disperser hors du pâturage,
Je suis le Seigneur, j’ai parlé.

 

Jésus est le Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Mais il est aussi celui qui viendra faire le tri entre chèvres et brebis, boucs et béliers, sur des critères autres que la piété. "j'ai eu faim, j'étais nu, j'étais un étranger..." La sortie du confinement nous laisse présager une crise sociale très lourde déjà commencée. Saurons nous y répondre ?

 

En ce dimanche de prière pour les vocations, demandons au Seigneur de raviver nos communautés chrétiennes ; qu'elles suscitent par leur prière, bien sur, mais aussi par leur vitalité et leur témoignage, leur bienveillance, le désir de suivre le Christ dans ses exigences. Qu'elles manifestent le désir de vivre de manière fraternelle, attentifs les uns aux autres, et plus particulièrement à ceux qui sont délaissés. Qu'elle sache aussi appeler, inviter aux tâches et services de l'annonce de l’Évangile, à la suite du Christ, le Bon Pasteur.


Christian le Borgne, curé