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Ce que les agriculteurs sont venus dire aux évêques

Comme à l’automne dernier, les évêques de France, réunis en visioconférence pour leur Assemblée plénière (du 3 au 8 novembre), ont invité des laïcs à se joindre à eux. L’an dernier, l’accent avait été mis sur le profil écologiste de ces invités à Lourdes. Cette fois-ci, ce sont des agriculteurs et des experts du monde agricole que les évêques ont souhaité écouter mardi 3 novembre.

Claire Lesegretain (avec Sybille d’Oiron),

La Croix, le 03/11/2020

 

Le profil jeune et écolo des invités des évêques à Lourdes

Régis Dubourg, directeur général de l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture, a évoqué le paysage agricole français dans un contexte marqué par le souci environnemental, où il s’agit de « produire plus et mieux avec moins d’engrais et moins de produits phytosanitaires, en tenant compte des changements de consommation alimentaire, et en vue de nourrir 10 milliards d’êtres humains en 2050 ».

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, principal syndicat agricole, devait, elle, rappeler la prise en compte des contraintes économiques et de l’urgence écologique dans le productivisme et la compétitivité internationale.

 

Une méfiance vis-à-vis des agriculteurs

Les évêques ont aussi écouté Aurélien Gonthier, jeune agriculteur de 25 ans, qui travaille avec ses parents dans une exploitation de 140 hectares et compte 130 vaches laitières à Courtenay (Loiret). Ce dernier faisait partie de la délégation de Français engagés dans l’écologie ayant rencontré le pape François en septembre.

Comme d’autres, Aurélien Gonthier, pourtant ardent défenseur d’une agriculture respectueuse des sols, souffre de la méfiance, voire de l’hostilité, qui se manifeste à l’égard de sa profession. Lors des débats auxquels il participe, les premières questions sont souvent, raconte-t-il, « qu’est-ce que vous épandez ? On est tout de suite attaqué sans même nous demander si l’on fait des choses naturelles ». Pour aider au dialogue, il aimerait que les évêques facilitent des rencontres entre agriculteurs et consommateurs.

Une idée que soutient Mathilde Mouchet, ingénieure environnement de 33 ans, sympathisante de la Confédération paysanne comme fille d’agriculteurs et invitée par Mgr Roland Minnerath, archevêque de Dijon. « Il est fondamental que les urbains aient une image positive de ce qui se passe pour la production de leur nourriture, qu’ils découvrent le travail que cela suppose et, inversement, que les producteurs connaissent les attentes des consommateurs », insiste-t-elle, en souhaitant voir des diocèses ou des paroisses organiser des visites d’exploitation.

 

Redonner du sens à leur activité

De telles demandes n’étonnent pas vraiment les évêques des diocèses ruraux qui savent, comme le constate Mgr Laurent Le Boulc’h, évêque de Coutances (Manche), que « les agriculteurs souffrent d’être incompris. Ils sont en plein questionnement sur leur évolution.

C’est une profession qui a l’impression d’avoir été baladée et qui est en recherche de ce qui donne sens à son activité ».

Or cette question du sens est souvent confisquée au profit de débats sans fin entre les différents types d’agriculture – conventionnelle, raisonnée, durable, biologique, intégrée… Débats dans lesquels les évêques refusent de prendre parti. « L’évolution de ces agricultures, au pluriel, doit être accompagnée dans une dynamique de transition écologique, qui est nécessaire », estime ainsi Mgr Philippe Mousset, évêque de Périgueux (Dordogne), fils d’agriculteur.

« Je viens à cette Assemblée pour dire stop à cette injonction : “Hors du bio et du circuit court, point de salut !” », s’exclame Antoine Gangneron, 65 ans, producteur de pommes près de Bourges (Cher) et diacre depuis 2005. Il se dit persuadé qu’il y a une place pour toutes les formes d’agriculture « dans le respect de la Création ».

 

Des « solutions réalisables »

C’est d’ailleurs souvent une aide pour « prendre de la hauteur », que les agriculteurs disent attendre de l’Église catholique. Ainsi, Sophie Testut, 50 ans, qui s’occupe avec son mari d’un élevage en circuit court et en conversion biologique de veaux et cochons dans le Périgord, souhaite que « l’Église arrache l’écologie à son ancrage militant et idéologique, en lui permettant de devenir plus réaliste – la nature étant loin d’être facile à vivre au quotidien – et en prenant en compte les questions sociales et économiques ».

Comme d’autres agriculteurs invités par les évêques, Sophie Testut attend « des solutions réalisables » pour la mise en pratique de Laudato si’. « Pour cela, il faudrait être plus clair sur la hiérarchie dans la nature – l’homme est-il en haut ? – et sur le rôle humain de jardinier de la Création. »

 

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« Deux boussoles pour la révolution agricole et alimentaire »

Dominique Potier

Agriculteur et député de Meurthe-et-Moselle

 

« Les évêques sont porteurs de deux boussoles pour la révolution agricole et alimentaire : le partage, avec l’encyclique Fratelli tutti, et la prise de conscience que « tout est lié », avec l’encyclique Laudato si’. La mise en œuvre de ces deux boussoles doit rappeler qu’il n’y a pas de santé pour l’homme sans santé pour le monde animal, qu’il n’y a pas de santé pour le monde animal sans santé pour le monde végétal et qu’il n’y a pas de santé pour le monde végétal sans santé pour le sol. Ce qui se joue autour des questions alimentaires et paysannes est donc une parabole des mutations auxquelles notre monde est appelé. »