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Qu'as tu fais de ton talent ?

Parabole des talents, d'Andrei Mironov.


Un homme partant en voyage confie ses biens à ses serviteurs, en toute confiance. Chacun, selon ce que le maître estime de ses aptitudes, reçoit une somme conséquente d’argent à faire fructifier, à l’un cinq talents, à l’autre deux, et enfin au troisième, un talent. A son retour, il demande à chacun de ses serviteurs de rendre compte du capital confié. Le premier, puis le second lui rapportent avoir chacun doublé la mise. Le troisième au contraire, dit avoir pris peur et avoir caché ce qui lui avait été confié. Dans sa colère le maître lui retire son talent et le confie à celui qui en a déjà dix.
Parabole des talents, ce récit nous est proposé ce dimanche.

 

Première remarque, Le talent n’est pas une aptitude intellectuelle, artistique ou autre, mais une monnaie. Le talent équivaut à cinq cents deniers, le denier à une journée de salaire ; faites le calcul… Si par la propagation de l’Evangile, et particulièrement de cette parabole, le mot « talent » exprime aujourd’hui un charisme particulier, le mot talentueux qualifiant une personne manifestant de nombreuses aptitudes singulières, ce n’est pas ici le sens premier de la parabole. Le maître a déjà estimé la qualité de chacun de ses serviteurs, ce qu’il confie, ce sont ses biens, à lui.

Seconde remarque : ce n’est pas dans le rapport financier qui est opéré, ou pas, par chacun des trois serviteurs, que se joue la joie ou la colère du maître, mais dans la relation de confiance ou de crainte entre lui et les serviteurs. La parabole nous redit sans cesse la confiance du maître. « Il leur confia ses biens », et reconnaît la fidélité des des deux premiers serviteurs  « serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de chose, je t’en confierai beaucoup… ». Mais lorsque le troisième serviteur justifie sa conduite en dressant du maître un portrait peu flatteur, fait de crainte et de reproche, c’est au travers de ce jugement que le maître condamne le serviteur infidèle. « Puisque tu savais que, alors ! ». Nous retrouvons là l’accent d’autres paraboles ayant trait à la générosité de Dieu et à l’étroitesse de vue des hommes, telle la parabole des ouvriers de la dernière heure « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? » « Pourquoi ton œil est il mauvais alors que le mien est bon ? ». Il ne s’agit donc pas d’une promotion de l’élite

 

Troisième remarque, cette parabole est située au terme de la montée à Jérusalem. En évoquant « un homme qui partait en voyage », le Christ annonce son départ, et la mission confiée aux disciples, au-delà de la Passion. En ce temps liturgique qui précède le Christ-Roi, nous sommes, comme dimanche dernier, dans l’approche de l’Avent, ce temps de l’attente du retour du Maître. Le temps de la mission confiée nous dispose au jour de sa venue, quand se posera la question « qu’as-tu fais de ton talent ? ». La mission confiée, ce n’est pas ce qui m’appartient en propre, comme un droit, un privilège, mais la part de confiance reçue avec mission de la faire croître. Qui dit « responsabilité confiée » suppose « répondre, rendre compte,» avec confiance et reconnaissance envers celui qui nous confie la mission.

 

Le pape Benoît XVI , au cours d’un Angélus, a rappelé que « l'évangile a pesé sur le plan historico-social, promouvant dans les populations chrétiennes une mentalité active et entreprenante ». En citant en particulier la parabole des talents, il a souligné que le talent se réfère à un « esprit de responsabilité avec lequel nous devons accueillir le Royaume de Dieu : responsabilité envers Dieu et envers l'humanité. La mauvaise attitude est celle de la peur (...). Ceci arrive, par exemple, à celui qui, ayant reçu le baptême, la communion, la confirmation, enterre ensuite ces dons sous une couverture de préjugés, sous une fausse image de Dieu qui paralyse la foi et les œuvres, de façon à trahir les attentes du Seigneur »

 

Ce passage de l’Evangile me rappelle le film « Le crabe tambour », de Pierre Schoendoerffer, d’après le roman du même nom et du même auteur. Claude Rich y interprète Pierre, le médecin-major, Jacques Dufilho l’officier mécanicien dit « le chef », et  Jean Rochefort  le « pacha » ;une question taraude ce dernier « Qu’as-tu fais de ton talent ? »

 

Si l’officier mécano, en vieux bigouden, en reste à l’enseignement de son recteur breton, à savoir que chacun doit rendre compte du talent reçu, il en va autrement du « pacha » qui plonge au plus profond de la relecture. Ayant eu a traverser des épisodes dramatiques de l’histoire dans sa responsabilité d’officier, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie et putsch des généraux d’Alger, il est écartelé entre l’obéissance à l’autorité, à la mission reçue et la fidélité dans l’amitié de ceux qui ont fait d’autres choix que le sien. « Qu’as-tu fait de ton talent ? »

Le réalisateur du film, dans un entretient au journal Le Monde, dit ceci :  « à partir d'un certain âge, on a derrière soi les années qui pèsent lourd, on a les choix que l'on a faits, et qui continuent à nous marquer. On se pose la question : qu'as-tu fait de ton talent ? Les deux personnages principaux ont eu des responsabilités dans les trente dernières années de la vie de la France. Ils ont vécu ce qui était un drame pour chaque citoyen, pas seulement pour eux. […]Une fois les choix accomplis, on en porte la responsabilité en soi, c'est ça la gloire et la peine de l'homme. Plus le choix est tragique, plus il est grand. »

 

 

 

Christian Le Borgne, curé