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Vous avez dit "Mystère" ?

Photo : St Augustin, église de Ploeven (porche)

 

Sur la plage d’Hippone, Augustin réfléchissait un jour au mystère de la Trinité. Il repéra un enfant -était-ce un ange ?- qui, avec une coquille, s’appliquait à verser l’eau de la mer dans un trou creusé dans le sable. « O PVER QV/ ID HIC AG/IS, [ô enfant, que fais-tu ?] ET PUER RESPONDENS – TOTAM RIPAR/IAM IN FONTEM AP/PONERE PROPOSUI [Et l’enfant répondit : J’ai décidé de mettre toute l’eau de la mer dans ce trou] »
L’évêque lui fit remarquer, en souriant, la vanité de ses efforts. L’ange lui répliqua qu’il était tout aussi déraisonnable de sa part de chercher l’explication du mystère de la Sainte Trinité. On ne peut pas en effet enfermer le mystère infini dans une formule, obligatoirement réductrice.

(https://albi.catholique.fr/liturgie-art-et-culture/mystere-de-jesus/mystere-de-sainte-trinite-saint-augustin/)

Cette petite histoire, je l'ai entendue quand j'étais enfant. Elle était racontée pour nous faire comprendre qu'un mystère, il nous serait impossible d'en découvrir l'énigme... Plus tard, je me suis aperçu que lorsque l'Eglise parlait de mystère, il ne fallait pas l'entendre à la manière du romancier Gaston Le Roux "Le mystère de la chambre jaune" ou de la littérature de jeunesse, "Le club des cinq, le mystère des catacombes". En effet, quand Rouletabille ou nos jeunes amis d'Enid Blyton ont solutionné l’énigme de leur aventure, il n'y a plus de mystère, tandis qu'avec Augustin et le langage de l'Eglise plus largement, nous n'en aurons jamais fini de découvrir toujours davantage l'étendue de la révélation.

Le mot mystère, en grec mysterion, a bien une origine qui indique l'aspect secret de Dieu. Par les moyens que lui seul choisit, il se révèle à des messagers, qui entrevoient des indices de la révélation divine. "A bien des reprises et de bien des manières, Dieu dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ;" dit la lettre aux Hébreux.
Jésus enseigne les paraboles du Royaume, et il fait la distinction entre les disciples qui peuvent entendre les mystères du Royaume, et "ceux du dehors" qui ne peuvent entendre le mystère, en raison de la dureté de leur coeur.
Lorsque Saint Paul parle de mystère, c'est pour souligner l'immensité infinie de la révélation en Jésus Christ. Parlant de l'amour des époux, il invite à respecter ce mystère qui est grand, car il est à l'image de l'amour du Christ pour son Eglise. 
Quand le célébrant, au coeur de la célébration eucharistique invite à "proclamer le mystère de la foi", l'expression provient de la lettre de Paul à Timothée (1Tm 3,9), ce mystère étant la révélation accomplie en Jésus Christ, manifesté dans la chair, justifié dans l'Esprit, proclamé aux nations, élevé dans la gloire. Quand Paul parle du mystère de la foi, il ne parle pas de la présence secrète et cachée de Jésus dans l’hostie, mais du Christ vénéré et proclamé par les chrétiens. 
C'est le sens que prendra enfin ce terme, pour qualifier la célébration du baptême et de l'eucharistie, avant de porter le nom en latin, de sacrement. Ainsi, dimanche prochain, fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, il est demandé au Christ, dans la prière d'ouverture : "Donne-nous de vénérer d'un si grand amour le mystère de ton corps et de ton sang, que nous puissions recueillir sans cesse le fruit de ta rédemption".

Saint Augustin, tout au long de sa vie d'homme, a cherché à pénétrer le mystère de Dieu, par les chemins de la sagesse, de la philosophie, des religions. Converti au christianisme, il découvre cette révélation de Dieu en son fils Jésus. Devenu évêque, par de nombreuses catéchèses, il cherchera à rendre compte de l'intelligence de la foi, du mystère de Dieu qui se révèle dans les Ecritures, dans la vie liturgique et sacramentelle, dans la prière, dans la vie communautaire, dans l'attention aux plus pauvres...  Quand il parle avec l'Eglise du mystère de la Sainte Trinité, ce n'est pas pour décourager son auditeur "Ne cherche pas à comprendre, c'est un mystère !" Au contraire, en pédagogue, il invite selon sa propre expérience spirituelle, en entrer dans ce chemin de découverte de l'amour insondable de Dieu, révélé en son Fils, chemin de découverte dans l'éclairage, l'intelligence, la force de l'Esprit Saint.

Saint Augustin écrivait dans son traité sur La Trinité (§ 15, 28) :
« Je t’ai cherché, ô mon Dieu, autant que j’ai pu.
Autant que tu m’en as rendu capable,
J’ai désiré voir avec les yeux de l’intelligence
Ce que j’avais d’abord cru.
J’ai longuement discuté et beaucoup travaillé,
Seigneur, mon Dieu, mon unique espérance, exauce-moi.
Fais qu’aucune fatigue ne m’empêche de Te chercher.
Fais, au contraire, qu’avec plus d’ardeur,
Je cherche toujours Ta présence.
Donne-moi la force de Te chercher,
Ô Toi qui m’as fait Te trouver
Et qui m’as donné l’espoir de Te trouver toujours davantage.
Devant Toi est ma force et ma faiblesse :
Affermis l’une, guéris l’autre.
Devant Toi est ma science et mon ignorance :
Là où Tu as ouvert la porte, laisse-moi entrer ;
Là où Tu l’as fermée, je frappe, ouvre-moi.
Que je me souvienne de Toi, que je Te comprenne,
Que je T’aime.
Fais grandir ces trois dons en moi,
En attendant que Tu m’aies réformé tout entier. »

 

Comme l'enfant qui a creusé un trou dans le sable de la plage et veut le remplir tout entier de l'eau de l'océan, nous sommes nous aussi invités à ce jeu, à cette quête, d'accueillir l'immensité de la vie divine. Jamais nous ne pourrons la retenir, car tout vient de Dieu et tout retourne à lui, et nous n'aurons jamais fini de le découvrir.

 

Christian Le Borgne, curé