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Tous saints

Lac de Tibériade, vue du Mont des Béatitudes
en "manchette", mosaïque basilique de l'Annonciation, Nazareth

 

Du Concile Vatican II, nous retenons plusieurs orientations majeures : la réforme de la liturgie, bien évidemment, bannière de ceux qui récusent ce Concile ; mais encore, redéfinition de la mission de l'Eglise au sein du monde de ce temps, et donc de son organisation et de sa hiérarchie ; non une Eglise centrée sur elle même, mais en dialogue avec les autres confessions chrétiennes (œcuménisme) et les autres religions, (dialogue inter-religieux), les cultures, s'appuyant sur une approche renouvelée de la Révélation Divine. Non une Eglise qui condamne, mais une Eglise en marche qui chemine avec les hommes vers la Citée Céleste.

 

Ce colossal travail de réforme, "d'aggiornamento" selon le mot du Pape Jean, c'est à dire de mise à jour, est en fait le fruit de nombreuses années de travail par les divers mouvements liturgiques, bibliques, œcuméniques, parfois encouragés par les divers papes tel Pie X ou Pie XII, n'en déplaise à ceux qui s'en référent en opposition à l'enseignement de leurs successeurs...

 

Une si grande réforme nécessite travail de réception, dans la durée. Le danger dans lequel beaucoup sont tombés, particulièrement chez beaucoup de ceux qui se réclament de "l'esprit du concile", c'est de penser que le Concile venait valider toutes les formes d'expérimentations nouvelles, tant en liturgie qu'en pastorale. C'est avec le temps que se décantent les choses, qu'apparait ce qui est vraiment désiré par l'Eglise, et non ce qui est souhaité ou rejeté par les uns et les autres.
Plus encore, dans une relecture des textes, apparaissent des affirmations essentielles qui ne semblaient pas aussi primordiales au moment de la promulgation.

 

En ces jours de la Toussaint, je voudrais revenir sur le Chapitre 5 du premier document du Concile, la "Constitution Dogmatique sur l'Eglise / Lumen Gentium".
Le titre même de cette Constitution, redéfinissant l'identité de l'Eglise, le "Mystère" selon le texte, c'est à dire le "Sacrement", rappelle que l'Eglise n'est pas d'abord une organisation, une "société parfaite" au sein des nations, mais, "en quelque sorte", sacrement du Christ pour les hommes, elle leur révèle et manifeste l'amour de Dieu, dans la mesure ou elle reflète la lumière qui nous vient du Christ.
Or nous retenons souvent de ce texte qu'un seul point, celui d'avoir défini le peuple de Dieu et sa mission avant de traiter de sa hiérarchie.

 

Lors d'une session nationale de liturgie, j'ai eu la chance et la joie d'entendre une conférence d'une théologienne, nous présentant une lecture novatrice ce document.
Il faut le comprendre, non selon une hiérarchie linéaire, selon laquelle on traite les divers points les uns après les autres, et en premier lieu les plus importants, mais plutôt comme dans une architecture, ou l'organisation d'un livre, les uns vis à vis des autres, dans un jeu d'équilibre.
Ainsi, nous avons en "couverture", ce dont il est question dans l'ouvrage, à savoir le Peuple de Dieu. En dernière page, l'image parfaite du Peuple de Dieu, en devenir (chapitre 7), la Vierge Marie (chapitre 8).
Ce qui structure l'ouvrage, c'est sa hiérarchie, qui assure tout à la fois et dans la foi, la communion au sein du peuple de Dieu, et sa fidélité à la tradition des apôtres (chapitre 3). Comme toute organisation court le risque de se scléroser, de "s'institutionnaliser", ou selon le mot du pape François d'être "autoréférenciée", l'évocation de la vie religieuse, au chapitre 6, fait contre poids, nous ramenant sans cesse aux conseils évangéliques, et notamment aux Béatitudes, par la profession des vœux évangéliques.
Mais qu' y a t'il au cœur de tout cela, quelle est la finalité de l'Eglise ? C'est ce qui est traité dans le chapitre 5 précisément, à savoir l'appel universel à la sainteté. Il n'y a pas de chemin de sainteté privilégié selon les divers états de vie, prêtre, religieux ou baptisé, célibataire ou marié. Chacun vit le chemin de sainteté, selon son état de vie, en contribuant à la sanctification des hommes.
"Cette sainteté de l'Eglise se manifeste en permanence et doit se manifester par les fruits de la grâce que l'Esprit produit dans les fidèles ; sous toutes sortes de formes, elles s'exprime en chacun de ce ceux qui tendent à la charité parfaite, dans leur ligne propre de vie, en édifiant les autres."  Lumen Gentium 39
"Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,48) [...] dans la société terrestre elle même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d'humanité dans les conditions d'existence (40)

 

En langage simple, pourquoi privilégier le langage de la sainteté à celui du sacré ? Le langage du "sacré" définit les réalités divines en opposition au "profane". D'un côté, tout là haut, la réalité de Dieu, de l'autre, tout en bas, notre humanité. Le domaine du religieux apparait alors comme un lieu intermédiaire, seuil entre deux mondes qui ne peuvent communiquer.
Dans le langage de la sainteté, Dieu seul est saint, ce que nous affirmons dans le "Gloire à Dieu", "car toi seul est saint...". Mais Dieu nous a donné son Fils, pour que nous fassions corps avec lui, et nous sanctifie par son Esprit. Ainsi, par lui le Christ, avec lui et en lui, nous sommes le peuple de Dieu, le Corps du Christ, le Temple de l'Esprit.

 

C'est peut-être, sans doute même,  selon cette clé, que nous pouvons revisiter l'ensemble des documents de ce concile. Qu'est ce donc que la liturgie, et tout particulièrement les sacrements, que ce lieu ou Dieu nous sanctifie ? Pourquoi l'accueil et la redécouverte de la Parole de Dieu, sinon comme Parole qui nous indique les chemins de la sainteté ? Pourquoi le dialogue avec les autres chrétiens,avec les autres religions, sinon pour comprendre à quoi le Père nous appelle, et en quoi il nous invite les uns et les autres, c'est à dire à la conversion et à l'accueil du Royaume ?
Heureux les pauvres, le Royaume est à eux
Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu...

 

En écho à cet enseignement du Concile, le pape François termine son exhortation "Gaudete et exsultate / Exhortation apostolique sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel", par cette invitation :
"J'espère que ces pages seront utiles pour que toute l'Eglise se consacre à promouvoir le désir de la sainteté. Demandons à l'Esprit Saint d'infuser en nous un intense désir d'être saint pour la plus grande gloire de Dieu et aidons-nous les uns les autres dans cet effort. Ainsi nous partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever" (177)

 

C'est ce que je souhaite également pour chacun de nous... Joyeuse fête de la Toussaint !

 

Christian Le Borgne, curé