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Pain rompu

Ceux qui viennent prier le jeudi soir, lors de l’exposition du Saint Sacrement, l’auront peut-être remarqué. Mon habitude est d’exposer non pas une hostie pleine, parfaitement ronde, mais seulement une partie de l’hostie du célébrant, consacrée au cours d'une messe précédente. Pourquoi ? Bien évidemment cela ne change rien à ce que nous appelons la « présence réelle », c’est-à-dire la présence sacramentelle du Christ Ressuscité. Mais cela a le mérite de nous rappeler que le Christ a institué l’eucharistie, afin que le pain soit rompu, partagé, et que celles et ceux qui mangent son corps et boivent son sang agissent avec lui, par lui, en lui, selon la volonté du Père. Le pain que nous voyons dans l’ostensoir est Corps du Christ , celui que nous ne voyons plus, parce qu’il nous a nourris, demeure caché dans le secret de nos vies. « Faites ceci en mémoire de moi ». Ce pain demande à être partagé !

 

 

En 1981, (je vous parle d’un temps, que les moins de vingt ans…), se tenait à Lourdes le 42ème Congrès Eucharistique, qui avait pour thème « Pain rompu pour un monde nouveau ». Ce rassemblement avait donné lieu à un fécond travail de catéchèse dans le diocèse, mobilisant les forces vives de la formation permanente dans ce qui étaient les « doyennés », la genèse de nos paroisses actuelles. Nous chantons encore « Pain rompu pour un monde nouveau », nous n’avons jamais accueilli ce texte merveilleux de Didier Rimaud «Quand tu manges ton pain… N’entends-tu pas le pain souffrir de n’être pas rompu » ?

 

Quarante années plus tard, je me demande ce qu’il reste des fruits de ce travail. Si je reprends les diverses contributions publiées sur les réseaux sociaux durant le temps du confinement, et les débats suscités par ces prises de positions, notamment sur l’impossibilité du rassemblement eucharistique dominical, je m’aperçois que demeure un fossé entre une vision « piétiste » de l’eucharistie, face à une vision « prophétique » de ce sacrement. Pour caricaturer, d’un côté « Mon Bon Dieu à moi », de l’autre « faire du jeûne de l’eucharistie un temps pour vivre en communion avec ceux qui ne peuvent approcher de ce sacrement ». Je vous avais fait écho de ces réflexions dans un billet précédent, notamment celui où je fais référence à l’interview du frère François Cassingena-Trévedy. Notre faim de l’eucharistie, si elle existe, est-elle une faim, une soif d’un monde plus juste, plus fraternel, « un ciel nouveau et une terre nouvelle ? ». Si tel est notre désir de puiser à la source même de Dieu, comment limiter notre pratique eucharistique à des critères d’un autre temps : « J’ai eu ma messe… » ?

 

Le Pape François, dans son message pascal, mettait en garde contre une pratique « virtuelle » des sacrements. Il ne s’agissait pas pour lui d’ouvrir un débat, sur le bien-fondé ou non, d’utiliser internet ou les ondes pour retransmettre une célébration eucharistique. Il sait lui même tirer profit de ces moyens de communication ! Il s’agissait pour lui de savoir si notre participation à la messe est au diapason de l’exigence de vivre la « messe », c’est à dire la mission de l’Eglise. Est-elle, selon le pape, « une familiarité seulement pour moi, détachée du peuple de Dieu » ? Et il y a un risque, souligne le Pape, de réduire notre pratique eucharistique à cette familiarité par moyen de média interposé, au-delà du "tunnel", comme il l'appelle, du temps de confinement. Ce qui est une bonne chose pour les personnes, qui en raison, notamment de l’âge, ou de la maladie, ne peuvent rejoindre l’assemblée dominicale, peut être une excuse ou une illusion pour ceux, qui sans raison majeure, préfèrent rester devant leur écran, dans une communion "virtuelle".

 

Virtuelle, non réelle, cette pratique que je ne puis comprendre, de proposer l’adoration eucharistique par webcam interposée… N’oublions pas que la tradition de conserver le pain eucharistique a pour origine de porter les saintes espèces aux malades et aux prisonniers…Cette tradition, qui n’a rien de virtuelle, mais qui réclame de véritables médiations humaines, bien concrètes, « porter la communion » comme une présence réelle du Christ et de l’Eglise auprès des absents, cette sainte tradition est encore à raviver dans nos pratiques paroissiales.

 

« N’entends-tu pas le pain souffrir de n’être pas rompu » ?

 

Christian Le Borgne, curé